La Villa d'Hadrien à Tivoli
Hadrien (76-138), son nom planait dans ma mémoire depuis des années ; initiateur du mur éponyme (en 122) protégeant l’Angleterre des attaques des tribus calédoniennes de l’Ecosse. Enfin, un empereur réaliste préférant stabiliser les frontières de son empire plutôt que de l’épuiser dans une expansion utopique (Auguste eut aussi conscience de cette réalité). Un empereur philosophe à l’origine du Panthéon à Rome, curieux des cultes orientaux.
Lorsqu’il apprend son accession, il est en Syrie. En 121, il entame sa tournée impériale par la Gaule, la Germanie, la Rhétie. Il visite ensuite la Bretagne, l’Espagne puis l’Asie en 124 et la Grèce. En 128, il part inspecter ses troupes en Afrique. Il traverse ainsi la Syrie, en Arabie il fonde la colonie d’Aelia Capitolana à l’emplacement de Jérusalem. En juillet-août 130 il est à Alexandrie. Lors de ses voyages il a encouragé les notables à construire et à restaurer les monuments existants. Il ramènera de nombreuses œuvres qu’il exposera à la villa Adriana.
C’est en 118 que commencent les travaux de la villa de Tibur (Tivoli). Aujourd’hui l’endroit nous paraît pittoresque. La villa est lovée au milieu des collines plantées d’oliviers et de vergers entre lesquelles coulent plusieurs rivières. La vision d’Hadrien était plus pragmatique. La villa est suffisamment proche de Rome pour y retourner facilement, assez loin pour s’extraire des complots du Palatin, facile d’accès grâce aux rivières et voisines de carrières de travertin pour limiter le temps de construction.
Quand en revenant de la villa d’Este à Tivoli j’ai aperçu ces ruines monumentales – 120 ha tout de même – les oeuvres des peintres des XVIIe et XVIIIe siècles me sont revenues à la mémoire, Boucher, Vernet, Hubert Robert, Piranèse notamment. Des scènes bucoliques au milieu des oliviers, de cascades, des ruines ensoleillées, des femmes à la source, des charrettes chargées de légumes… Une époque où la vie s’écoulait doucement, un paradis perdu.
Ce jour là à la villa Adriana sous un ciel voilé, pas de belle meunière en costume régional ; en fait pas grand monde à l’exception de quelques étudiants en architecture essaimés dans la propriété, assis devant un bas-relief, grimpés sur une voûte, la tête dans un souterrain carnet de croquis à la main.
Il faut parcourir une allée et traverser des champs d’oliviers aux troncs noueux pour découvrir les premières ruines. Un immense mur bordant le Pecile. Cette esplanade entourant un bassin tire son nom du célèbre portique d’Athènes la Stoà Poikile (le portique peint). On s’y promenait l’après-midi. Hadrien a sans doute choisi ce nom en référence aux Stoïciens. Lieu de promenade l’après-midi, on y donnait aussi des banquets la nuit venue.
Ma visite à la villa d’Hadrien oscille entre une promenade solitaire et une découverte archéologique ; sans plan, je me suis laissé guider par les chemins, les frondaisons des arbres, l’attrait de tel ou tel pan de murs découvrant une bibliothèque, un des triclinium d'été que sais-je encore, prenant peu à peu conscience que la villa figurait une synthèse des savoir-faire techniques romains, une glorification de l’architecture de l’empire romain, un raccourci de l’univers romain mais aussi et surtout une retraite pour Hadrien.
Juste à côté du Pecile s’élèvent les thermes solaires, l’ancêtre de notre solarium. La lumière et la chaleur solaires arrivaient par un oculus central et par une façade vitrée. Pline le jeune (II,17) décrit un édifice similaire dans une lettre à Gallus au sujet de sa maison des Laurentines sur la route d’Ostie : “A l’angle de la chambre et de la salle à manger, se trouve un endroit en pleine lumière qui garde et renvoie la chaleur du soleil”. Il ajoute aussi, “Au bout de la terrasse et du passage couvert, il y a un pavillon que j’adore, oui, je l’adore vraiment., c’est moi qui l’ai aménagé : une pièce toujours au soleil donne d’un côté de la terrasse et de l’autre sur la mer […]. Une charmante aclôve se cache au fond, elle est entièrement vitrée et il suffit de tirer le rideau pour la transformer en chambre à coucher”.
Les thermes solaires de la villa d'Hadrien.
Les pièces correspondant au palais brillent aujourd’hui davantage par leur proportions que par leur faste. Ce ne sont que d’immenses salles de pas perdus. Même constat à la Piazza d’oro. C’est ici qu’Hadrien rassemblaient les œuvres d’art ramenées de ses campagnes. Des sculptures perses, des statues de Praxitèle… La salle est envahie d’herbes folles d’où émergent les bases de la colonnade et quelques mosaïques autrefois admirables. “Presque tout ce que notre goût accepte de tenter le fut déjà dans le monde des formes ; je passais à celui de la couleur : le jaspe vert comme les profondeurs marines, le porphyre grenu comme la chair, le basalte, la morne, l’obsidienne […] les mosaïques des parements ou des murailles n’étaient jamais assez mordorées, assez blanches ou assez sombres. Chaque pierre était l’étrange concrétion d’une volonté, d’une mémoire, parfois d’un défi. Chaque édifice était le plan d’un songe” se souvient Hadrien dans ses Mémoires.
(Toutes les citations sont extraites des Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar)
Un songe. C’est vrai que cet endroit a quelque chose d’onirique. Le temps d’une après-midi j’ai rêvé à Hadrien. Pas tellement au faste de la demeure mais à son caractère. La Piazza d’or et la villa sont sillonnées de galeries. Je m’imagine l’empereur misanthrope parcourant les sous sols de son domaine à l’abri des regards pour conserver son intimité, échapper aux importuns. Ailleurs au contraire, des ouvertures sont pratiquées dans les voûtes afin qu’Hadrien puisse contempler les astres, connaître l’heure mais aussi penser à l’au-delà. “Je sais exactement, à l’heure où je t’écris, quelles étoiles passent ici, à Tibur (Tivoli), au-dessus de ce plafond orné de stuc et de peintures précieuses. […] J’ignore encore ce qui se passe derrière cette tenture noire. Mais la nuit syrienne représente ma part inconsciente d’immortalité” avoue Hadrien dans ses mémoires.
Les grands et les petits thermes de la villa d'Hadrien. Remarquez le groupe d'élèves au fond à gauche et ses proportions par
rapport au monument.
Ce caractère onirique je l’ai ressenti au Canope. C’est le lieu qui figure sur toutes les photos, dans tous les guides, le but de la visite. On y donnait des banquets, un lieu festif donc. Pourtant, je n’y ai rien ressenti de tel. Du romantisme peut-être.
En réalisant ce bassin, Hadrien souhaitait évoquer le canal bordé de temples et de jardins qui reliait Alexandrie à Canope en Egypte. D’après lui, le canal symbolisait le Nil et les cascades les crues du fleuve. “J’avais donné à un coin particulièrement sombre du parc (derrière le Canope) le nom de Styx, à une prairie semée d’anémones celui de Champs Elysées, me préparant ainsi à cet autre monde dont les tourments ressemblent à ceux du nôtre, mais dont les joies nébuleuses ne valent pas nos joies.”
Hadrien, sous la plume de Yourcenar avoue aussi :“Ma tâche publique était faite : je pouvais désormais retourner à Tibur, rentrer dans cette retraite qu’est la maladie, expérimenter avec mes souffrances, m’enfoncer dans ce qui me restait de délices, reprendre en paix mon dialogue interrompu avec un fantôme.”
Ce fantôme, peut-être est-celui d’Antinoüs, ce jeune berger dont Hadrien tomba fou amoureux en 123-124 à Claudiopolis en Turquie. Antinoüs accompagna ensuite l’empereur dans tous ses déplacements jusqu’à ce jour funeste en Egypte en 130. Ce jour là sur les conseils de Phlégon, Hadrien, Antinoüs et Lucius allèrent consulter une magicienne. Prédisant un sinistre avenir à Hadrien, elle demanda un sacrifice pour conjurer le sort. Antinoüs proposa son faucon. L’animal fut noyé selon un rituel assurant la protection de son âme à l’empereur. Un peu plus tard, le lendemain de l’anniversaire d’Osiris, Antinoüs s’échappa de la barque royale. On retrouva dans sa cabine les cendres tièdes d’un sacrifice récent et une mèche de cheveu. Le corps d’ Antinoüs fut découvert dans les eaux du Nil, ses vêtements soigneusement pliés sur la berge. On se perd encore en hypothèses sur les circonstances de la mort d’Antinoüs mais la présence d’un acte de magie ne fait guère de doute. Le jeune homme aurait sacrifié sa vie afin que son esprit puisse veiller sur d’Hadrien.
Lorsque j’ai appris que le Canope était une allégorie de cette partie de la vallée du Nil, je n’ai pu m’empêcher d’y associer cet épisode de la vie d’Hadrien. L’ombre d’ Antinoüs est partout présente à Tibur. En dépit de ses dimensions, la villa est le reflet du repli sur soi d’Hadrien avec, en son centre le théâtre maritime.
Ce petit édifice est probablement le plus important du site. Si sa forme répond à celle du Panthéon de Rome, il n’en n’a pas la même fonction. A Rome, Hadrien est au centre de l’univers, ici il se renferme sur lui-même en observant la voûte céleste, essayant de percer les mystères de l'au-delà à la recherche, peut-être, d'Antinoüs.
“Mais surtout, je m’étais fait construire au cœur de cette retraite un asile plus retiré encore, un ilôt de marbre au centre d’un bassin (l’océan primordial dans la cosmologie romaine), entouré d’une colonnades, une chambre secrète qu’un pont tournant […] relie à rive, ou plutôt sépare d’elle. Je fis transporter dans ce pavillon deux ou trois statues aimées et ce petit buste d’Auguste enfant qu’aux temps de notre amitié m’avait donné Suétone ; je m’y rendais à l’heure de la sieste pour dormir, rêver, pour lire. Mon chien couché au travers du seuil allongeait devant lui ses pattes raides ; un reflet jouait sur le marbre.”.
Et il conclut : “J’ai essayé de m’unir au divin sous bien des formes ; j’ai connu plus d’une extase ; il en est d’atroces, et d’autres d’une bouleversante douceur.”
Plan de la villa d'Hadrien.
Le Canope de la villa d'Hadrien.